Pour qui tourne les pages
» Grimoire oblige, lecteur tu trouveras des pierres pour ton édifice. A toi d’utiliser les matériaux nécessaires pour ta construction et l’élévation de ton temple. Il ne s’agit pas ici de chercher à mélanger tout ce qui te conviendrait à une existence pleine de réussite avec fortune, chance et bonheur. Nul ne pourra te préserver des écueils de l’existence » Shorgues était surpris de ces premières lignes déchiffrées dans le vieux grimoire. Puis, il poursuit sa lecture, avide de tout retenir. Les lignes suivantes l’interpellent ainsi :
Tout commence par un chemin, celui sur lequel tu t’es engagé. Rien ne dit que tu le tiendras jusqu’au bout. Un carrefour et te voilà tenté d’emprunter une autre voie, celle qui semble la meilleure. C’est toujours toi qui décideras même en laissant le hasard décider à ta place, saches que c’est encore toi qui influencera par peur, par provocation ou simplement pour l’amour du risque.
Quel que soit ta décision, à l’instant où tu ouvres le grimoire tu sais que tu cherches quelque chose de futile. Aussi mince soit-elle, cette quête peut aboutir et ce ne sera pas celui qui a formé ces pages qui osera prétendre que tu lui dois la connaissance. Le maître a entr’ouvert sa tour d’ivoire. Laisse quelques ouvrages sur sa table entre parchemins et livres anciens. Sans un mot, il t’invite à prendre place dans sa pièce secrète, celle qu’il affectionne le plus. Le tout dans une atmosphère de douceur baignée par quelques rayons de lumière. Les parfums s’invitent, discrets ou suaves, l’encens s’impose faisant du lieu une chapelle, un oratoire où l’esprit s’élève, grandit. Dans le secret, ce sage, ce maître se penche sur le passé, interroge le présent, devine l’avenir. Et c’est parce qu’il t’a entendu qu’il t’offre de passer quelques heures avec lui. Ecoute, regarde, questionne, propose.
De l’initiation
Prudence envers celui qui te confiera les secrets au prix d’une obéissance aveugle et sans limite. Ton esclavage n’est plus très loin. Méfiance envers celui qui fort de ses connaissances te fera croire qu’il est ton salut à la seule condition que tu adhères à ses dogmes. L’homme libre, explique le sage, est celui qui sait où on veut le mener et qui a suffisamment de force pour avancer et s’orienter vers un autre horizon que celui emprunté par d’interminables cortèges de survivants.
Comprends qu’il ne peut y avoir de foi sans raison, de raison sans affirmation, d’affirmation sans doute. Toute foi doit s’exprimer du plus profond de toi jusqu’à la proximité de tes semblables. Une foi qui ne s’exprime pas par des actes saura-t-elle être convaincante, libératrice ? Cette foi que tu cherches doit-elle être enfermement ou libération ? Ce groupe, cette société, cette institution qui s’invente un mystère, une révélation acceptera-t-elle que tu sois différent ?
L’initié ne cesse de se poser des questions parfois même n’entend même pas l’autre lui répondre. Avant tout, ne cherche ni maître, ni devin, ni sage mais bien un semblable soucieux d’être qu’une simple pierre sur ta route. Un écho, une voix, un murmure même peuvent t’ouvrir le cœur bien plus que tu ne l’imagines. Il suffit d’être prêt, attentif.
Tu demandais comment commencer ? Alors, prends. Tiens, ouvre cet opuscule. Il date un peu. Sa couverture de cuir est séduisante et l’odeur comme enivrante, provocante pourquoi pas. Dès les premières pages, le papier légèrement jauni laisse apparaître une belle écriture noire. Tu survoles les premières lignes comme pour essayer d’aller au cœur du message. Et puis, tes yeux s’attardent sur ces lignes où tu apprends que les pratiques d’initiations remontent à la nuit des temps, bien au-delà du temps des pharaons. Te voilà subitement relié symboliquement à cette multitude d’êtres qui avant toi entreprenaient cette même démarche. Une longue chaîne sans fin dont l’origine te ramène à l’Inde, à cette période fort lointaine des Brahmanes. De l’Inde, ces initiations furent apportées en Egypte. Une filiation de plus de sept mille ans avant notre ère. A cette origine, des signes, des symboles comme le triangle au sommet duquel des rayons de lumière évoquent le sens, éclairant même le nom, l’unique que l’on ne sait prononcer. Pour les Brahmes, ce mot était sacré résumant à lui seul la connaissance, la science divine et humaine. Un mot, un nom rendant libre et l’égal à Brahma.
Sur les pas des initiés
Au fur et à mesure de ta lecture, tu découvres que ce nom était gravé dans un triangle en or, le tout conservé dans le temple d’Agartha dont seul le Brahmatma en possédait la clef. Il était reconnaissable par la tiare qui le coiffait avec pour symbole deux clefs croisées comme celles aujourd’hui frappées sur les armes du Vatican.
D’autres marcheurs comme toi qui ont poussé la porte du cabinet de l’inconnu, ont découvert un commencement avec le culte brahmanique à l’origine de tous les mystères et de toutes les particularités des cultes. L’initiation est un début, une nécessité. Le lecteur peut-il découvrir et comprendre l’ouvrage sans en avoir tourné toutes les pages ? Te voyant un peu étonné devant cette situation, un peu dérouté, le sage, le mage ou le maître, quelque soit le nom que tu lui attribue, te tend un vieil ouvrage. Seule la poussière tente de l’envahir pour le reléguer dans des oubliettes.
Tes yeux parcours les pages et tu survoles quelques phrases. Tu prononces silencieusement les mots assemblés… Pas une cérémonie, pas un sacrement de ce culte qui ne se retrouve dans un vieux rituel hindou : baptême, communion, confirmation, confession, huile consacrée, tonsure, chapelet, mendicité pour vertu. De l’Inde à l’Egypte, les initiations avaient pour but d’assurer à l’ordre sacerdotal une domination sur les autres. De l’Inde vient le principe des castes. Du fond des âges, à travers ces castes s’installait l’oppression et son funeste cortège formé de l’esclavage, de la corruption, du mensonge, de la superstition et de l’ignorance.
Le savoir détenu par quelques initiés renforcait la domination sur des groupes humains. Le sage Hindou n’avait-il pas révélé un jour à son initié, » Souviens toi, il n’y a qu’un seul dieu, mais sache aussi que ce mystère ne peut être révélé à n’importe lequel des humains « . Avec les Brahmanes, seule la caste sacerdotale possédait les clefs des mystères et de la connaissance. Rien ne devait être dévoilé hors de cette caste sous peine de trouver la mort. Au cœur de cette connaissance, les symboles ravivaient ce savoir.
Trois lettres, trois indications qui ne cesseront de traverser les siècles : création, conservation, transformation. Trois lettres, trois mots, le fondement d’un savoir au cœur du mystère. Un enseignement confiné dans de secrètes sociétés ou d’Eglises instituées. Long cheminement, étranges coïncidences … par des chemins détournés ou trop bien amenés, les symboles demeurent d’une telle actualité. Rien de nouveau ? Peut être. Rien ne se créé, rien ne perd, tout se transforme, cette affirmation désormais tu vas la comprendre.
Les peuples ont puisé aux mêmes sources, interprétant les textes et les révélations selon leurs sensibilité, leur fougue ou leur folie. Justifications d’un peuple, les dieux allaient convenir pour bâtir une société, admettre des cruautés, séparer des êtres entre dominants et dominés, serviteurs et maîtres, initiés et dévots.
Derrière les apparences
Un livre puis un second et cela ne cesse. Peu de pause pour Shorgues. L’envie de poursuivre la quête l’emporte à tel point qu’il en oubliait l’heure. Il était comme enivrait par tant de pages lues. Les mots résonnaient encore dans sa tête. Il était surpris par ces phrases qui l’interpellaient. Il n’aurait jamais pensé que le grimoire confié par la vieille femme pusse le provoquer à ce point. Cette lecture éclairait bien des questions qu’il se posait depuis fort longtemps et qu’il avait presque oublié. Il était temps pour lui de faire une pause. Digérer tout ce qu’il venait de lire. Réfléchir. Retrouver les autres, ces amis et ses proches qu’il avait mis de côté depuis quelque temps. Il lui fallait retrouver les vivants.
A suivre
(Tout droit réservé)